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de la mort

une réelle apparition hors du néant, la seconde sera aussi un véritable anéantissement. Mais, en vérité, l’éternité de notre être propre est le seul moyen d’en supposer par la pensée l’immutabilité ; cette immutabilité n’est donc pas temporelle. L’opinion que l’homme est créé du néant conduit nécessairement à celle que la mort est sa fin absolue. En cela l’Ancien Testament est donc tout à fait conséquent, car une création tirée du néant n’admet pas de doctrine de l’immortalité. Le christianisme et le Nouveau Testament en contiennent une : c’est qu’ils sont d’esprit tout hindou, et par là aussi (la chose est plus que probable) d’origine hindoue, quoique n’étant dérivés de l’Inde que par l’intermédiaire de l’Égypte. Mais pour la race juive, sur laquelle cette sagesse de l’Inde a dû se greffer dans la terre promise, une telle doctrine lui convient aussi peu que la liberté de la volonté s’accorde avec la théorie de la création de la volonté, ou aussi peu encore que

Humano capiti cervicem pictor equinam
Jungero si velit.

Il est toujours mauvais de n’être pas original de toutes pièces et de ne pouvoir tailler en plein bois. Le brahmanisme et le bouddhisme, au contraire, très conséquents avec eux-mêmes, admettent à côté de la continuation de l’existence après la mort une existence avant la naissance, dont cette vie présente est destinée à expier les fautes. Et ils ont eu une conscience très nette du rapport nécessaire de ces deux idées ; la preuve en est fournie par le passage suivant de l’Histoire de la philosophie hindoue de Colebrooke, dans les Transact. of the Asiatic London Society, vol. I, p. 577 : « Against the system of the Bhagavatas, which is but partially heretical, the objection upon which the chief stress is laid by Vyasa is, that the soul would not be eternal, if it were a production, and consequently had a beginning[1]. ». Nous lisons encore dans Upham, Doctrine of Buddhism, p. 110 : « The lot in hell of impious persons call’d Deitty is the most severe : these are they, who discrediting the evidence of Buddha, adhere to the heretical doctrine, that all living beings had their beginning in the mother’s womb, and will have their end in death[2]. »

Celui qui conçoit son existence comme un pur effet du hasard doit craindre, sans doute, de la perdre par la mort ; celui qui recon-

  1. « De toutes les objections présentées au système des Bhagavatas, qui n’est hérétique qu’en partie, celle à laquelle Vyasa attache le plus de poids est que l’âme ne serait pas éternelle si elle était une chose créée et si elle avait, par conséquent, un commencement. »
  2. « Dans l’enfer le sort le plus rigoureux est celui de ces impies du nom de Deitty : ce sont ceux qui, rejetant le témoignage de Bouddha, adhèrent à cette doctrine hérétique que tous les êtres vivants trouvent leur commencement dans le sein de leur mère et atteignent leur fin dans la mort. »