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le monde comme volonté et comme représentation

en mon être propre, qu’un pur phénomène ; en tant que je suis, au contraire, moi-même et immédiatement cet être, je ne suis plus un sujet connaissant. Car la connaissance n’est qu’une propriété secondaire de notre être, un effet de la nature animale de notre moi : je l’ai suffisamment démontré dans le second livre. Rigoureusement parlant, nous ne connaissons toujours ainsi notre volonté elle-même que comme phénomène, et non dans sa nature intime et absolue, quelle qu’elle puisse être. Mais (je l’ai amplement montré et démontré dans ce même second livre, comme dans l’écrit Sur la Volonté dans la nature), si, afin de pénétrer dans l’intérieur des choses, nous laissons de côté les seules données purement indirectes et extérieures, pour nous en tenir à l’unique phénomène dans l’essence duquel il nous soit permis de voir sans intermédiaire et du dedans, nous y trouvons la volonté comme principe dernier et incontestable, comme centre et noyau de la réalité : nous y reconnaissons donc la chose en soi, parce qu’elle n’a plus l’espace pour forme ; mais elle emprunte la forme du temps, et par là nous ne la saisissons, à vrai dire, que dans la plus immédiate de ses manifestations, et par suite sous cette réserve que la connaissance que nous en avons n’est pas absolue, complète et adéquate. C’est donc aussi en ce sens que nous maintenons ici cette notion de la volonté comme celle de la chose en soi.

À l’homme, en tant que phénomène temporel, la notion de fin est sans doute applicable, et la connaissance empirique nous représente ouvertement la mort comme fin de cette existence temporelle. La fin de la personne est aussi réelle que l’a été son commencement, et dans le même sens exactement où nous n’étions pas avant la naissance, nous ne serons plus après la mort. La mort cependant ne peut rien supprimer de plus que ce que la naissance avait établi ; elle n’enlève donc pas ce qui, dès le principe, a rendu la naissance possible avant tout. En ce sens natus et denatus est une belle expression. Or maintenant, l’ensemble de la connaissance empirique ne fournit que de simples phénomènes : ceux-là seuls sont donc atteints par les accidents temporels de la naissance et de la mort, et non pas la substance qui se manifeste en eux, l’être en soi. Pour celui-ci l’opposition créée par le cerveau entre la naissance et la mort n’existe pas ; elle n’a plus aucun sens, aucune signification. La chose en soi reste ainsi à l’abri de la fin temporelle du phénomène temporel et elle ne cesse de conserver une même existence, à laquelle ne peuvent pas s’appliquer les notions de commencement, de durée et de fin. Mais cette essence, aussi loin qu’on peut la poursuivre, n’est dans tout être créé que sa volonté ; et de même pour l’homme. La conscience, au contraire, consiste dans la connaissance ; or la connaissance, comme nous l’avons suf-