Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/326

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vité et d’une ardeur que nous ne lui avons jamais connues autrement. Que se passe-t-il donc en lui ? — Sait-il qu’il doit mourir et que de l’acte accompli par lui en ce moment doit naître un individu nouveau, mais complètement semblable à lui et destiné à le remplacer lui-même ? — De tout cela il ne sait rien, incapable qu’il est de réflexion ; mais il a pour la perpétuité de son espèce les mêmes soins passionnés que s’il savait tout ; car il a conscience de vouloir vivre et exister, et c’est le plus haut degré de ce vouloir qu’il exprime par l’acte de la génération. Voilà tout ce qui se produit alors dans sa conscience. C’est qu’aussi il n’en faut pas plus pour assurer la permanence des êtres, et cela justement parce que la volonté est la racine, la connaissance un simple rameau adventice. De là vient justement aussi que la volonté peut se passer à l’occasion des lumières de la connaissance, et dès que dans son originalité primitive elle s’est déterminée, dès lors ce vouloir s’objectivera de lui-même dans le monde de la représentation. Or si cette forme animale déterminée, telle que nous nous la sommes représentée, est bien ce qui aspire à la vie et à l’existence ; cette vie et cette existence, elle les veut, non pas d’une façon toute générale, mais réalisée dans cette forme précise. Aussi est-ce la vue de sa forme dans un individu femelle de son espèce qui excite la volonté de l’animal à l’acte de la génération. Considéré du dehors et sous l’apparence du temps, ce sien vouloir apparaît comme une de ces formes animales maintenues durant un temps infini par la substitution sans cesse répétée d’un individu à un autre, c’est-à-dire par le jeu alternatif de la génération et de la mort qui ne semblent être encore, à ce point de vue, que les pulsations de cette forme (ιδεα, ειδος, species) d’une éternelle durée. On peut les comparer à ces forces d’attraction et de répulsion, dont l’antagonisme constitue la matière. — Ce qu’on vient de signaler chez l’animal vaut aussi pour l’homme : car si, chez lui, l’acte de la génération s’accompagne d’une connaissance absolue de sa cause finale, loin pourtant d’être guidé par cette connaissance, il procède immédiatement de la volonté de vivre, dont il est la concentration. Il faut, en conséquence, le mettre au nombre des actions instinctives. Car, aussi peu que dans la génération, l’animal dans l’exercice de ses instincts ouvriers est dirigé par la connaissance du but à atteindre : ici encore c’est la volonté qui se manifeste dans la partie principale sans recourir à l’intervention de la connaissance, sur laquelle, dans les deux cas, elle ne s’en remet que pour le détail. La génération est en quelque sorte le plus merveilleux des instincts artistiques, et celui dont l’œuvre est la plus surprenante.

Ces considérations nous expliquent pourquoi l’appétit sexuel est empreint d’un caractère bien différent de tous les autres : il n’en est pas seulement le plus fort, il est même spécifiquement de nature