Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/379

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais non pas tellement que des deux maux ce ne soit encore le moindre. C’est donc celui-ci que choisit la nature, pour éviter dès l’origine et de loin le mal bien plus grand de la dépravation de l’espèce, et prévenir ainsi un malheur durable et qui ne ferait qu’aller en grandissant.

En vertu de cette prévoyance de la nature, il naît en général, vers l’âge indiqué par Aristote, une tendance à la pédérastie, sourde d’abord et insensible, mais qui va s’accusant et se dessinant chaque jour, à mesure que décroît la capacité de procréer des enfants sains et vigoureux. Ainsi procède la nature. Remarquons bien cependant que de cette inclination naissante au vice lui-même il y a encore loin. Sans doute si, comme dans l’ancienne Grèce ou à Rome, ou comme en Asie de tout temps, on ne lui oppose aucune digue, elle peut, encouragée par l’exemple, mener facilement au vice, qui prend alors à son tour une grande extension. Mais en Europe elle rencontre des obstacles si puissants dans les motifs de la religion, de la morale, des lois et de l’honneur, que presque chacun recule déjà d’effroi à la seule idée de s’y livrer : nous pouvons donc admettre que, sur trois cents hommes environ qui ressentent ce penchant, il en est un, au plus, assez faible et assez insensé pour y céder ; et la chose est d’autant plus certaine, que cette tendance apparaît seulement à l’âge où le sang est refroidi, où l’instinct sexuel s’est en général affaibli, et que, d’autre part, dans une raison déjà mûrie, dans la circonspection acquise par l’expérience, dans la fermeté d’âme développée en mille occasions, elle trouve des adversaires assez rudes pour empêcher une nature d’y succomber, à moins d’une perversité originelle.

Cependant le but que poursuit ici la nature est atteint en ce que ce penchant entraîne avec soi à l’égard des femmes une indifférence, qui, accrue de jour en jour, devient de l’éloignement et finit par grandir jusqu’à l’aversion. Et ce but véritable de la nature est atteint d’autant plus sûrement que, plus la faculté génératrice décline dans l’homme, plus se détermine cette inclination contre nature. — Aussi ne rencontrons-nous en général le vice de la pédérastie que chez des hommes déjà vieux. Seuls des gens d’un certain âge se laissent prendre de temps à autre en flagrant délit, au grand scandale de tout le monde. Car l’âge viril ne connaît pas ce vice, et ne peut même le concevoir. Se présente-t-il une fois une exception à la règle, c’est, je crois, alors la conséquence d’une dépravation accidentelle et prématurée de la faculté génératrice : elle ne pourrait produire que des êtres mal conformés, et, pour y obvier, la nature la détourne de sa direction première. C’est pourquoi les débauchés, trop peu rares, hélas ! dans les grandes villes, n’adressent leurs signes et leurs propositions qu’à des hommes déjà vieux, ou encore