Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/419

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rachetât de notre état actuel, telle que non seulement le christianisme, mais encore le brahmanisme et le bouddhisme (sous le nom que les Anglais traduisent par final emancipation), nous en représentent comme le but suprême : c’est-à-dire que nous n’aurions pas besoin de revêtir une forme tout autre, opposée même à notre forme actuelle. Mais puisque nous sommes ce que nous devrions ne pas être, nous sommes obligés de faire ce que nous devrions ne pas faire. De là pour nous la nécessité d’une transformation complète de notre esprit et de notre être, c’est-à-dire d’une régénération, à la suite de laquelle a lieu la rédemption. La faute peut bien résider dans l’action, dans l’operari ; mais la racine n’en est pas moins au fond de notre essentia et existentia, principe nécessaire de l’operari, comme je l’ai montré dans le mémoire sur la Liberté de la volonté. Il s’ensuit que notre unique et véritable péché est proprement le péché originel. Le mythe chrétien ne place sans doute ce péché qu’après la naissance de l’homme, et il attribue per impossibile à l’homme qui l’a commis une volonté libre : mais il ne fait justement tout cela qu’à titre de mythe. L’essence intime et l’esprit du christianisme sont identiques à ceux du brahmanisme et du bouddhisme : tous ils enseignent que la race humaine est chargée d’une lourde culpabilité par le fait même de son existence ; la différence du christianisme d’avec les antiques doctrines religieuses sur ce point est qu’il procède par intermédiaire et par détour, en faisant naître la faute, non pas directement de l’existence même, mais d’une action accomplie par le premier couple humain. Une telle conception n’était possible que sous la fiction d’un liberum arbitrium indifferentiæ et nécessaire qu’à cause du dogme juif fondamental, sur lequel cette doctrine devait se greffer. En réalité, la naissance de l’homme est l’acte de sa libre volonté, et ne fait qu’un avec la chute par le péché ; par là le péché originel, d’où dérivent tous les autres, s’est produit en même temps que l’essentia et l’existentia de l’homme : mais le dogme juif fondamental ne permettait pas une telle interprétation ; aussi saint Augustin professa-t-il, dans ses livres de libero arbitrio, que l’homme n’a existé innocent et doué d’une volonté libre qu’en Adam, avant la chute due au péché, mais que depuis lors il vit enlacé dans les chaînes fatales du péché. — La loi, ό νομος, au sens biblique, exige toujours que nous changions notre façon d’agir, tandis que notre nature demeurerait invariable. Mais il y a là une impossibilité ; aussi saint Paul dit-il que nul n’est justifié devant la loi : seule, à la suite de l’action de la grâce qui produit un homme nouveau et supprime le vieil homme, c’est-à-dire qui opère dans notre esprit une transformation radicale, la renaissance en Jésus-Christ pourrait nous transporter de l’état d’attachement au péché dans celui de liberté et de rédemption. C’est