Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/429

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se dirige vers l’intérieur disparaissent ». (Cf. vers 346.) Et dans le Manual of Buddhism, par Spence Hardy, Bouddha, p. 288, s’exprime ainsi : « C’est moi, ou c’est à moi, voilà des pensées que mes disciples rejettent. » D’une façon générale, si, faisant abstraction des formes dues aux circonstances extérieures, on va jusqu’au fond des choses, on trouvera que Çakia Mouni et maître Eckhard enseignent la même chose ; il n’y a qu’une différence : le premier pouvait énoncer sa pensée sans détour, le second était obligé au contraire de la couvrir du vêtement du mythe chrétien et d’y accommoder ses expressions. Mais il va si loin en ce sens que chez lui le mythe chrétien n’est guère plus qu’une langue toute faite d’images, à peu près comme le mythe hellénique chez les néo-platoniciens : il le prend toujours dans le sens allégorique. Sous le même rapport, on peut noter l’extrême ressemblance de la conduite de saint François, passant de l’aisance à la mendicité avec le changement d’existence plus grand encore du Bouddha Çakia Mouni qui de prince se fait mendiant ; de plus, la vie et l’institution de Saint-François ont été une sorte de saniassisme. C’est encore une chose digne d’être mentionnée, que sa parenté avec l’esprit hindou ressort aussi de son grand amour pour les animaux, des relations fréquentes qu’il avait avec eux, des noms de frères et de sœurs qu’il leur donnait sans cesse ; de même aussi son beau Cantico, par l’éloge qu’il contient du soleil, de la lune, des étoiles, du vent, de l’eau, du feu, de la terre, témoigne de l’esprit hindou inné en lui qui l’animait[1].

Souvent même les quiétistes chrétiens ont eu peu ou point connaissance les uns des autres, par exemple Molinos et Mme Guyon de Tauler et de la Théologie allemande, ou Gichtel des deux premiers. La grande différence d’instruction n’a pas exercé non plus une influence essentielle sur leurs doctrines, puisque les uns, comme Molinos, étaient instruits, les autres, tels Gichtel et un grand nombre encore, étaient ignorants. Ce fait, ajouté à leur accord parfait et intime, à la fermeté et à l’assurance de leurs déclarations, n’en est qu’une preuve plus forte qu’ils parlent en vertu d’une expérience intérieure réelle. Cette expérience n’est pas accessible à tous, elle n’est donnée en partage qu’à quelques élus ; elle a donc reçu le nom d’action de la grâce, et cependant on n’en peut pas mettre en doute la réalité d’après les raisons données plus haut. Pour bien comprendre tout ceci, il faut lire les textes eux-mêmes et ne pas se contenter de relations de seconde main, car chaque auteur doit être entendu en personne, avant qu’il soit pro-

  1. ]Cf Bonaventuræ Vita S. Francisci, c. VIII. — K. Hase, François d’Assise, c, X. — I cantici di S. Francesco, édit. de Schosser et Steinle, Francfort-s.-M., 1842.