Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/430

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noncé sur lui. Pour la connaissance du quiétisme, je recommande surtout maître Eckhard, la Théologie allemande, Tauler, Mme Guyon, Antoinette Bourignon, l’Anglais Bunyan, Gichtel, Molinos[1] ; de même, comme preuves pratiques et comme exemples du sérieux profond de l’ascétisme, il faut lire la Vie de Pascal publiée par Reuchlin, l’Histoire de Port-Royal du même, ainsi que l’Histoire de sainte Elisabeth par le comte de Montalembert, et la Vie de Rancé par Chateaubriand, et la série de tout ce qu’il y a d’important en ce genre est loin d’être ainsi épuisée. Il suffit de lire ces écrits et d’en comparer l’esprit avec celui de l’ascétisme et du quiétisme, tel qu’il respire à travers tous les ouvrages du brahmanisme et du bouddhisme et s’y exprime à chaque page, pour accorder que toute philosophie qui, par une raison de conséquence, doit rejeter toute cette façon de penser, et en déclarer à cette fin les représentants des imposteurs ou des insensés, doit aussi par le fait être fausse. Or ce cas est celui de tous les systèmes philosophiques d’Europe, à l’exception du mien. En vérité ce serait une étrange folie que celle qui, au milieu de toutes les diversités possibles des circonstances et des personnes, s’exprimerait avec un tel accord et que les peuples les plus anciens et les plus nombreux de la terre, c’est-à-dire les trois quarts environ de tous les habitants de l’Asie, élèveraient à la hauteur d’un dogme capital de leur religion. Mais aucune philosophie, en présence d’une telle question, n’a le droit de passer sous silence le sujet du quiétisme et de l’ascétisme, car le thème en est, en substance, identique à celui de toute métaphysique et de toute morale. Aussi est-ce là un point où j’attends toutes les philosophies, avec leur optimisme, et sur lequel je suis curieux de les voir se prononcer. Et si, au jugement de mes contemporains, la conformité paradoxale et sans exemple de ma philosophie avec le quiétisme et l’ascétisme paraît être pour elle une pierre d’achoppement évidente, j’y vois justement au contraire une preuve de son exactitude et de sa vérité unique, comme aussi l’explication de l’ignorance prudente et du silence des universités protestantes en ce qui la concerne.

Non seulement en effet les religions de l’Orient, mais encore le vrai christianisme porte absolument ce caractère ascétique, que ma philosophie explique par la négation du vouloir-vivre ; toutefois le protestantisme, surtout sous la forme actuelle, cherche à le dissimuler. Les ennemis déclarés du christianisme qui ont paru dans ces derniers temps ont eux-mêmes démontré qu’il enseigne le renoncement, l’abnégation personnelle, la parfaite chas-

  1. Michaelis de Molinos manuductio spiritualis : hispanice 1675, italice 1680, latine 1687, gallice in libro non adeo raro, cui titulus : Recueil de diverses pièces concernant le quiétisme, ou Molinos et ses disciples, Amst., 1688.