Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/436

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(μη βουλομενοι τον κοσμον συμπληρουν, απεχεσθαι γαμου). Clément, en homme pour qui en général l’Ancien Testament a plus de charmes et de clartés que le Nouveau, prend la chose en très mauvaise part. Il y voit une ingratitude criante, un acte d’hostilité et de révolte contre celui qui a produit le monde, contre le juste démiurge, dont ils sont eux-mêmes l’ouvrage, et des créations duquel ils dédaignent de faire usage, en renonçant, par leur rébellion impie, aux sentiments que dicte la nature (αντιτασσομενοι τω ποιητη τω σφων… εγκρατεις τη προς τον πεποιηκοτα εχθρα, μη βουλομενοι χρησθαι τοις υπ’αυτου κτισθεισιν,… ασεϐει θεομαχια των κατα φυσιν εκσταντες λογισμων). — Dans son zèle religieux, il ne veut même pas laisser aux marcionites l’honneur de l’originalité, et, armé de son érudition bien connue, il leur rappelle, en appuyant son dire des plus belles citations, que déjà les philosophes antiques, qu’Héraclite et Empédocle, Pythagore et Platon, Orphée et Pindare, Hérodote et Euripide, et avec eux la Sibylle, avaient profondément gémi sur la misérable constitution du monde et par là même avaient enseigné le pessimisme. Dans son enthousiasme savant, il ne s’aperçoit pas qu’il ne saurait mieux faire les affaires des marcionites, en montrant que « tous les sages de tous les temps » ont professé et chanté la même chose qu’eux : mais, plein de confiance et de courage, il cite les sentences les plus affirmatives et les plus énergiques exprimées en ce sens par les Anciens. Il est vrai, rien de tout cela ne le déconcerte : les sages peuvent déplorer la tristesse de l’existence, les poètes peuvent se répandre à ce sujet en plaintes des plus émouvantes, la nature et l’expérience peuvent élever bien haut la voix contre l’optimisme, — rien de tout cela n’atteint notre père ; il maintient sa révélation pure et ne recule pas. Le démiurge est l’auteur du monde : il est donc a priori certain que le monde est excellent, quelle qu’en puisse être l’apparence. — Il en est de même pour le second point, l’εγκρατεια, témoignage manifeste, selon lui, de l’ingratitude des marcionites envers le démiurge (αχαριστειν τω δημιουργω) et de leur obstination rebelle à rejeter tous ses dons (δι αντιταξιν προς τον δημιουργον, την χρησιν των κοσμικων παραιτουμενοι). Là encore les tragiques ont devancé les encratistes, aux dépens de l’originalité de ces derniers, et dit ce qu’ils devaient dire : à leurs plaintes sur les misères sans fin de l’existence, ils ont ajouté qu’il était meilleur de ne pas procréer d’enfants, ce que Clément appuie encore des plus beaux passages, en blâmant en même temps les pythagoriciens d’avoir renoncé pour cette raison à la jouissance sexuelle. Mais tout cela ne le gêne en rien : il reste fidèle à son principe que tous, par leur continence, ils se rendent coupables envers le démiurge, en défendant de se marier, de procréer des enfants, de mettre au monde de nouveaux infortunés, de ne pas offrir une nouvelle proie à la mort (δι εγκρατειας