Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/438

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à l’opinion que les doctrines chrétiennes puissent dériver en quelque manière de ces religions primitives. J’en ai déjà signalé quelques indices au second volume des Parerga, § 179 (2e éd., § 180). Ajoutons ici cette remarque d’Épiphane (Hœretic., XVIII) que les premiers juifs chrétiens de Jérusalem, du nom de Nazaréens, s’étaient abstenus de toute nourriture animale. Par cette origine ou du moins par cette concordance, le christianisme appartient à la croyance antique, véritable et élevée de l’humanité, si contraire à la fausse, plate et pernicieuse doctrine de l’optimisme, telle que l’exposent le paganisme grec, le judaïsme et l’islam. La religion zende tient en quelque sorte le milieu, puisqu’en face d’Ormuzd, elle possède dans Ahriman un contrepoids pessimiste. De cette religion zende, comme J.-G. Rhode l’a solidement démontré dans son livre la Légende sainte du peuple zende, est sortie la religion juive : Ormuzd a donné naissance à Jéhovah, et Ahriman à Satan. Mais Satan ne joue encore dans le judaïsme qu’un rôle subalterne, il y disparaît presque tout entier ; de là la prédominance de l’optimisme et la présence, comme élément pessimiste, du seul mythe du péché originel, dérivé lui aussi du Zend-Avesta (fable de Meschian et Meschiana), qui y tombe dans l’oubli, jusqu’au jour où il est, ainsi que Satan, recueilli par le christianisme. Cependant Ormuzd lui-même vient du brahmanisme, quoique d’une région très inférieure de ce culte : il n’est rien d’autre en effet qu’Indra, ce dieu secondaire du firmament et de l’atmosphère qui rivalise souvent avec l’homme ; l’éminent J.-J. Schmidt l’a très bien montré dans son ouvrage Sur la parenté des doctrines gnostico-théosophiques avec les religions de l’Orient. Cet Indra-Ormuzd-Jehovah dut passer ensuite dans le christianisme, lors de sa naissance en Judée, et, se conformant au caractère cosmopolite de cette religion, il quitta ses noms propres, pour être désigné par le terme dont chaque nation convertie appelait dans sa langue les êtres surhumains qu’il supplantait. Il devint Θεος, Deus, du sanscrit Deva (d’où aussi devil, diable), ou, chez les peuples gothico-germaniques, God, Gott, de Odin ou Wodan, Wuodan, Godan. De même, dans l’islamisme, dérivé aussi du judaïsme, il prit le nom d’Allah déjà auparavant en usage dans l’Arabie. C’est par un fait analogue que les dieux de l’Olympe grec, lors de leur transplantation en Italie au temps préhistorique, reçurent les noms des dieux qui régnaient avant eux. Zeus s’appela, chez les Romains, Jupiter ; Héra, Junon ; Hermès, Mercure ; etc. En Chine, le premier embarras pour les missionnaires naît de l’absence dans la langue chinoise de terme de ce genre, comme de mot pour exprimer « la création »[1] ; aucune

  1. Cf. Sur la volonté dans la nature, 3° édition, p. 135.