Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/458

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tion avec les données existantes. Très conséquent avec l’esprit du panthéisme, Scot Érigène déclare tout phénomène une théophanie ; mais alors il faut transporter cette notion jusqu’aux phénomènes les plus terribles et les plus hideux : singulières théophanies ! Ce qui de plus me distingue des panthéistes, ce sont surtout les différences suivantes : 1° Leur Dieu est un x, une grandeur inconnue ; la volonté est au contraire de toutes les choses possibles la mieux connue de nous, la seule à nous immédiatement donnée, et par suite la seule propre à expliquer toutes les autres. Partout, en effet, le connu doit servir à expliquer l’inconnu, et non pas inversement. — 2° Leur Dieu se manifeste animi causa, pour déployer sa magnificence ou pour se faire admirer. Abstraction faite de la vanité qu’ils lui attribuent par là, ils se mettent ainsi dans le cas de devoir nier, par des sophismes, les maux énormes de ce monde ; mais le monde n’en demeure pas moins dans une contradiction vivante et effroyable avec cette excellence rêvée par eux. Chez moi au contraire la volonté parvient toujours par son objectivation, quelle qu’en soit la nature, à la connaissance de soi-même, ce qui rend possibles sa suppression, sa conversion et son salut. Aussi chez moi seul la morale trouve-t-elle un fondement solide et un développement complet en harmonie avec les religions les plus élevées et les plus profondes, avec le brahmanisme, le bouddhisme et le christianisme, et non plus seulement avec le judaïsme et l’islamisme. La métaphysique du beau n’est aussi complètement éclaircie qu’à l’aide de mes principes, et n’a plus besoin de chercher un refuge derrière des mots vides de sens. Seul, je reconnais loyalement dans toute leur étendue les maux de ce monde, et je le puis, parce que chez moi les deux questions de l’origine du mal et de l’origine du monde convergent vers une même réponse. Au contraire dans tous les autres systèmes, tous optimistes, la question de l’origine du mal est le mal incurable toujours renaissant, qui les condamne à traîner une vie misérable, au milieu des palliatifs et des drogues. — 3° Je pars de l’expérience et de la conscience de soi naturelle, donnée à chacun, pour arriver à la volonté, non seul élément métaphysique : je suis ainsi une marche montante et analytique. Les panthéistes au contraire prennent, à l’inverse de moi, la voie descendante et synthétique ; ils partent de leur Dieu, que, deux fois sous le nom de substantia ou d’absolu, ils obtiennent de nous par leurs instances ou nous imposent, et c’est cet être entièrement inconnu qui doit expliquer par la suite tout ce qui est connu. — 4° Chez moi le monde ne comble pas l’entière possibilité de toute existence ; mais il y reste encore une large place pour ce que nous ne désignons que négativement par la négation du vouloir-vivre. Le panthéisme au