Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/459

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contraire est optimiste par essence ; si le monde est ce qu’il y a de meilleur, il doit s’en tenir là. — 5° L’idée des panthéistes que le monde visible, c’est-à-dire le monde comme représentation, est une manifestation intentionnelle du désir qui y réside, loin de contenir en soi une explication véritable de l’apparition du monde, a bien plutôt besoin elle-même d’éclaircissement. Chez moi au contraire le monde comme représentation ne trouve place que par accident : l’intellect, en effet, avec sa perception extérieure, n’est tout d’abord que le medium des motifs pour les phénomènes les plus parfaits de la volonté, et cet intermédiaire s’élève progressivement jusqu’à cette objectivité de l’évidence intuitive qui constitue l’existence du monde. En ce sens ma théorie rend réellement compte de l’origine du monde, en tant qu’objet visible, sans recourir, comme les panthéistes, à d’insoutenables fictions.

À la suite de la critique kantienne de toute théologie spéculative, presque tous les gens qui philosophaient en Allemagne se sont rejetés sur Spinoza : toute la série d’essais manqués connue sous le nom de philosophie postkantienne n’est que du spinozisme ajusté sans goût, enveloppé de mille discours incompréhensibles et défiguré de bien des manières encore. Aussi, après avoir montré le rapport de ma doctrine avec le panthéisme en général, ai-je l’intention d’en indiquer la relation avec le spinozisme en particulier. Elle est au spinozisme ce que le Nouveau Testament est à l’Ancien. Ce que l’Ancien Testament a de commun avec le Nouveau, c’est le même Dieu créateur. D’une façon analogue, chez moi comme chez Spinoza le monde existe par lui-même, et grâce à son énergie intrinsèque. Mais chez Spinoza, sa substantia æterna, l’essence intime du monde, qu’il intitule lui-même Dieu, n’est encore, par le caractère moral et par la valeur qu’il lui attribue, que Jéhovah, le Dieu créateur, qui s’applaudit de sa création et trouve que tout a tourné pour le mieux, παντα καλα λιαν. Spinoza ne lui a rien enlevé que la personnalité. Chez lui aussi le monde avec tout son contenu est donc parfait et tel qu’il doit être : par là l’homme n’a rien de plus à faire que vivere, agere, suum Esse conservare, ex fundamento proprium utile quærendi (Eth., IV, p. 67) ; il doit simplement se réjouir de sa vie, tant qu’elle dure, tout comme l’ordonne l’Ecclésiaste, IX, 7-10. Bref, c’est de l’optimisme : aussi la partie morale est-elle faible, comme dans l’Ancien Testament, fausse même et en partie révoltante[1]. — Chez moi au contraire, la volonté ou l’es-

  1. « Unusquisque tantum juris habet quantum potentia valet. » (Tract. pol., c. II, § 8.) — « Fides alicui data tamdiu rata manet, quamdiu ejus, qui fidem dedit, non mutatur voluntas. » (Ibid., §12.) — « Uniuscujusque jus potentia ejus definitur. » (Eth., IV, pr. 37, schol. 1.) — Le chapitre xvi du Tractatus theologico-politicus est surtout le résumé de l’immoralité de la philosophie spinoziste.