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vue objective de l’intellect

d’autres termes la forme du sens intime. Ce foyer de l’ensemble de l’activité cérébrale est ce que Kant nommait l’unité synthétique de l’aperception : c’est par son intermédiaire seulement que la volonté prend conscience d’elle-même ; car ce foyer de l’activité cérébrale, ce sujet connaissant se reconnaît comme identique à sa propre base, d’où il dérive, le sujet voulant, et ainsi naît le moi. Tout d’abord pourtant ce foyer de l’activité cérébrale n’est que le simple sujet de la connaissance, capable comme tel d’être le spectateur froid et désintéressé, le simple directeur et conseiller de la volonté, de percevoir d’une manière purement objective le monde extérieur, sans égard au bien ou au mal de cette volonté. Mais dès qu’il se dirige vers le dedans, il reconnaît dans la volonté la base de son propre phénomène, et converge avec elle dans l’unité de conscience du moi. Ce foyer de l’activité cérébrale (ou sujet de la connaissance) est simple sans doute, en tant que point indivisible, sans être pour cela une substance (âme) ; il n’est qu’un simple état. Ce dont lui-même est l’état ne peut être connu de lui qu’indirectement, en quelque sorte par réflexion : mais la cessation de l’état ne doit pas être regardée comme l’anéantissement de ce dont il est l’état. Ce moi connaissant et conscient est à la volonté, base de son phénomène, ce que l’image formée dans le foyer d’un miroir concave est à celui-ci même : comme elle, il n’a qu’une réalité conditionnée, je dirai plus, une réalité purement apparente. Bien loin d’être le premier absolument (comme l’enseigne entre autres Fichte), au fond il est tertiaire, car il suppose l’organisme, et celui-ci la volonté. J’accorde que tout ce que je viens de dire n’est qu’image et comparaison, en partie même hypothèse ; mais nous sommes arrivés à un point que peuvent atteindre à peine les pensées : comment les preuves y atteindraient-elles ? Je prie donc mes lecteurs de comparer ce que je viens de dire avec ce que j’ai énoncé tout au long sur ce même objet dans le vingtième chapitre.

Bien que l’essence en soi de tout être consiste dans sa volonté, et que la connaissance avec la conscience ne s’y ajoute que comme un élément secondaire aux degrés supérieurs de l’échelle phénoménale, nous trouvons pourtant que la présence à des degrés divers de l’intellect et de la conscience crée entre les divers êtres des différences considérables et riches en conséquence. L’existence subjective de la plante doit être pensée par nous comme faiblement analogue au plaisir et à la douleur, comme une simple ombre de ces deux états ; et dans cet état extrêmement rudimentaire, la plante ne sait quelque chose que d’elle-même, rien de ce qui est en dehors d’elle. Au contraire, l’animal qui en est le plus proche, le dernier des animaux est poussé par des besoins plus