voulais le cacher à ma mère, car je croyais que ce
sang était la suite de mes écarts avec Marguerite.
Mon linge me trahit et ma mère me parla pour la
première fois de ces choses ; elle m’en dit juste assez
pour m’en donner une notion générale. Elle ne soupçonnait
pas que son propre exemple m’avait bien
mieux enseignée. Peu de temps après, je fus confirmée
(j’avais seize ans) et mes parents m’emmenèrent
avec eux dans le monde. L’on faisait attention à moi,
d’autant plus que ma voix se développait et que mon
chant portait ses premières fleurs. Chaque fois que
j’avais chanté en société, l’on me disait de toutes
parts : « Vous devez vous vouer au théâtre et devenir
une Catalini, une Sontag ! »
Ce que l’on entend sans cesse s’imprime à la longue dans le cerveau, et quoique mon père n’en voulût rien savoir, je trouvais une alliée dans ma mère. On décida enfin que je serais cantatrice. Toutes mes études se dirigeaient vers ce but. À seize ans je jouissais d’une plus grande liberté que la plupart des jeunes filles. Une lointaine parente, vieille, laide et craintive devait m’accompagner à Vienne, où j’allais développer ma voix chez un célèbre professeur. Mon père avait fait tout ce que sa fortune lui permettait, et vous savez combien je lui en suis reconnaissante. Avant de partir, je vis encore plusieurs fois Marguerite. Elle était mon amie, ma confidente et ma maîtresse dans les choses pour lesquelles il ne peut y avoir de maîtresse pour les filles et qui vous coûtent si chères si l’on se confie à un maître ! Je fus très