Page:Schuré - Tannhæuser, 1892.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 12 —

lamento funèbre, qui va s’assombrissant — et où sinistrement oscille et grandit la tache noire d’un cercueil…

Ce prélude n’est qu’un puissant raccourci du drame qui va suivre. Quand la toile se lève et nous montre Élisabeth prosternée devant un petit calvaire, au pied de la Wartbourg, nous apercevons avec les yeux du corps ce que la musique avait fait voir à notre œil intérieur. Il y a, dans les scènes suivantes, une admirable gradation de tonalités fondues l’une dans l’autre qui vont du plus profond sentiment religieux au tragique le plus intense. La prière d’Élisabeth, où une vie entière se répand et s’immole ; le retour des pèlerins et le désespoir silencieux de la vierge qui cherche anxieusement et vainement Tannhæuser parmi eux ; la scène muette d’adieu entre Wolfram et Élisabeth d’une si suave et délicate sensibilité ; la lente et mélancolique disparition de cette blanche fiancée de la mort entre les troncs d’arbres de la forêt ; puis, la romance de Wolfram à l’étoile du soir qui prolonge l’adieu suprême et le transpose dans une sphère supraterrestre ; toutes ces scènes, par une gamme merveilleuse d’émotions, s’harmonisent et nous enlèvent par dessus la douleur humaine dans une paix idéale et céleste. Mais Wagner ne nous laisse planer un instant dans ce pur éther de l’âme que pour nous reprécipiter dans le gouffre de la souffrance humaine et nous ramener avec son héros sous la verge de fer du Destin. Comme le râle d’un mourant, se traînent dans les contrebasses les cinq notes incisives qui figurent le pas haletant du pèlerin, de Tannhæuser revenant de Rome et frappé d’excommunication. L’un des premiers mots qu’il dit à Wolfram exprime d’une manière poignante l’état de son âme : « Ne t’assieds pas à côté de moi, dit-il, la place où je repose est maudite ! » Rien de plus dramatique que son récit ; car, en racontant sa condamnation par le Saint-Père, il met en scène toute l’amertume de son désespoir, tout l’effondrement de son âme écrasée sous le malheur. Ce qui l’avait forcé à s’humilier dans la poussière, lui l’orgueilleux, le triomphant chevalier de Vénus, ce n’était pas le désir de faire son salut, mais uniquement le