Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/68

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rations entières, un quart d’eau-de-vie, se leva et vint serrer la main aux deux soldats. « Allez, dit-il, vos camarades vous remercient. »

Gaonac’h et Palaric passèrent à travers les couloirs obscurs, près des affûts de rechange, entre les tas de bombes vides parce qu’on n’avait plus ni poudre libre ni fusées de bois — trébuchant sur des gabions défoncés, renversés aux épaulements. La nuit était tombée, ce qu’on savait uniquement par le silence de l’ennemi ; et les hommes relevés de leurs postes, entrant un par un dans les casemates, autour d’un seul vieux bout de chandelle, grelottaient de froid, malgré les couvertes. L’ombre fantastique jetée sur les murs blancs par les lits de guerre, auxquels pendaient les râteliers d’armes, semblait la grille d’un four gigantesque.

Les deux hommes sortirent de la chambre, armés d’un revolver ; descendant par l’artère centrale, ils firent pousser la porte de fer, et, le pont-levis lentement baissé, avec de l’huile sur les chaînes, ils sortirent dans le froid de la nuit, sous les étoiles glacées. À cinq cents mètres de hauteur, le vent ululait dans les fils brisés du télégraphe : un mélancolique son qui semblait planer sur le plateau désert. Les brousses frémissaient sur les pentes ; plus loin les carrières abandonnées bordaient la route de mamelons noirs. Gaonac’h et Palaric s’y jetèrent et résolument gagnèrent l’extrémité ouest pour passer dans le bois. Il devait y avoir un corps d’occupation français