Page:Schwob - La Lampe de Psyché, 1906.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mystérieusement usés. Le mugissement de toutes ces gueules glauques était doux et lamentable. Elles ne geignaient pas comme les grands arbres, mais semblaient se plaindre dans un autre langage. Elles aussi devaient être jalouses et impénétrables : car elles roulaient leur ombre pourpre à l’écart de la lumière.

Alain courut sur le bord et laissa tremper ses pieds par l’écume. Le soir venait. Un instant des traînées rouges à l’horizon parurent flotter sur un crépuscule liquide. Puis la nuit sortit de l’eau, tout au bout de la mer, se fit impérieuse, étouffa les bouches criantes de l’abîme par ses tourbillons obscurs. Et les étoiles piquèrent le ciel de l’Océan.

Mais l’Océan ne fut pas le miroir des étoiles. Ainsi que la forêt, il protégeait contre elles son cœur de ténèbres par l’éternelle agitation de ses vagues. On voyait bondir hors de cette immensité ondulante des cimes chevelues de cheveux d’eau que la main profonde de l’Océan retirait aussitôt à lui. Des montagnes fluides s’entassaient et se fondaient en même temps. Des chevauchées de vagues galopaient furieuses, puis