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IVANHOÉ.

su plus tôt. Je pensais que ta race n’aimait rien que ses sacs d’argent.

— Ne pensez pas si mal de nous, bien que nous soyons juifs, dit Isaac s’empressant de profiter de ce moment de sympathie apparente ; le renard que l’on poursuit, le chat sauvage que l’on torture aiment leurs petits ; la race méprisée et persécutée d’Abraham aime aussi ses enfants.

— Soit ! dit Front-de-Bœuf, je le croirai à l’avenir, Isaac, par pitié pour toi ; mais cela ne nous sert pas maintenant : je ne puis changer ce qui est arrivé ni ce qui doit suivre. Ma parole est engagée à mon frère d’armes, et je ne voudrais pas y manquer pour dix juifs et juives. Et puis pourquoi penses-tu qu’il advienne du mal à ta fille, quand même elle serait le butin de Bois-Guilbert ?

— Il y en aura ! il faut qu’il y en ait ! s’écria Isaac en se tordant les mains avec désespoir. Quand est-ce que les templiers ont réservé autre chose que la cruauté aux hommes et le déshonneur aux femmes ?

— Chien d’infidèle ! s’écria Front-de-Bœuf les yeux étincelants et n’étant pas fâché peut-être de saisir un prétexte pour se mettre en colère, ne blasphème pas le saint Ordre des templiers de Sion ; mais songe plutôt à me payer la rançon que tu m’as promise, ou malheur à toi !

— Scélérat et brigand ! dit le juif renvoyant les insultes à son oppresseur avec une rage que, tout impuissante qu’elle était, il ne pouvait plus contenir ; je ne te paierai rien ! non ! pas un penny d’argent, à moins qu’on ne délivre ma fille en sûreté et en honneur !

— Est-ce que tu es dans ton bon sens, israélite ? demanda fièrement le Normand. Ta chair et ton sang ont-ils un charme contre le fer rougi et contre l’huile bouillante ?

— Je m’en moque ! dit le juif poussé à bout par son affection paternelle. Fais ce que tu voudras. Ma fille est ma chair et mon sang ; elle m’est plus précieuse mille fois que ces membres que ta cruauté menace. Je ne te donnerai pas d’argent, à moins que je ne le verse fondu dans ton gosier