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IVANHOÉ.

avare. Moi l’héritier de leur fondateur, moi pour qui ils sont tenus de prier par leurs statuts de fondation, moi, monstres ingrats qu’ils sont ! ils me laissent mourir comme le chien vagabond et traqué, sans me confesser ni m’administrer. Dites au templier de venir ici. Il est prêtre, lui, et pourra faire quelque chose. Mais non ; autant vaudrait me confesser au diable qu’à Brian de Bois-Guilbert, qui n’a souci ni du ciel ni de l’enfer ! J’ai entendu des vieillards parler de prières, de prières faites par soi-même ; ceux-là n’ont pas besoin de courtiser ou de suborner de faux prêtres… Mais je n’ose…

— Réginald Front-de-Bœuf, dit une voix cassée et aiguë à côté de son lit, vit-il donc pour dire qu’il existe quelque chose qu’il n’ose faire ?

La conscience bourrelée et les nerfs ébranlés, Front-de-Bœuf crut entendre, dans cette étrange interruption de son monologue, la voix de l’un de ces démons qui, suivant les idées superstitieuses de l’époque, hantaient les lits des mourants pour distraire leurs pensées et les détourner des méditations qui intéressaient leur salut éternel. Il frissonna, et ses membres se couvrirent d’une sueur froide ; mais, rappelant presque aussitôt son courage habituel, il s’écria :

— Qui est là ? Qui es-tu ? Qui ose répéter mes paroles d’un ton semblable au croassement du corbeau nocturne ? Parais devant ma couche, afin que je te voie !

— Je suis ton mauvais ange, Réginald Front-de-Bœuf, répliqua la voix.

— Prends une forme qui te rende visible à mes yeux, dit le chevalier mourant, et ne crois pas que ta vue puisse m’intimider. Par la prison éternelle ! si je pouvais seulement lutter avec les horribles images qui planent autour de moi, ainsi que je l’ai fait avec les dangers de la terre, ni le ciel ni l’enfer ne diraient que j’ai refusé le combat.

— Pense à tes crimes, Réginald Front-de-Bœuf ! reprit la voix presque surnaturelle ; pense à ta rébellion, à tes rapines,