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IVANHOÉ.

assez loin cependant pour que Beaumanoir fût obligé de tourner la tête en lui parlant.

— Conrad, disait le grand maître, cher compagnon de mes combats et de mes fatigues, ton cœur fidèle est le seul où je puisse déposer mes chagrins. À toi seul je puis dire combien de fois, depuis mon arrivée dans ce royaume, j’ai désiré mourir et reposer avec les justes. Il n’y a pas dans toute l’Angleterre un seul objet sur lequel mes yeux aient pu se reposer avec plaisir, hormis les tombeaux de nos frères situés sous les voûtes massives de l’église du Temple, dans son orgueilleuse capitale. « Ô vaillant Robert de Ros ! me suis-je écrié en moi-même en contemplant ces braves soldats de la croix gisant sculptés sur leurs sépultures, ô excellent Guillaume de Mareschal ! ouvrez vos cellules de marbre et laissez partager votre repos à un frère fatigué, qui aimerait mieux avoir à combattre cent mille païens que d’être témoin de la décadence de notre ordre sacré ! »

— Il n’est que trop vrai, répondit Conrad Montfichet ; il n’est que trop vrai, et les dérèglements de nos frères d’Angleterre sont encore plus graves que ceux de nos frères de France.

— Parce qu’ils sont plus riches, répondit le grand maître. Pardonne un peu de vanité, mon cher frère. Tu sais la vie que j’ai menée, observant religieusement tous les statuts de mon ordre, luttant contre les démons visibles et invisibles, terrassant le lion mugissant qui cherche qui il pourra dévorer, et le faisant en bon chevalier et en prêtre dévot partout où je l’ai rencontré, ainsi que nous l’a prescrit le bienheureux Bernard dans le XLVe chapitre de nos règlements, ut leo semper feriatur[1]. Mais, par le saint Temple, par le

  1. Dans les ordonnances des chevaliers du Temple, cette phrase se trouve sous plusieurs formes, et se rencontre dans presque tous les chapitres, comme si c’était le mot d’ordre de la confrérie ; cela peut expliquer peut-être pourquoi il revient si souvent dans la bouche du grand maître.