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IVANHOÉ.

encouru sa censure, en un mot, il réussissait si bien à donner un aspect de dévotion ascétique à une société adonnée à la licence et au plaisir, que Lucas de Beaumanoir commença à concevoir une opinion plus élevée des mœurs du commandeur que celle qu’il en avait eue au premier moment.

Mais les sentiments favorables du grand maître furent considérablement altérés quand il apprit qu’Albert avait reçu dans une maison religieuse une juive captive, et, ce qui était à craindre, la maîtresse d’un chevalier de l’ordre. Quand Albert se présenta devant lui, Beaumanoir le regarda avec sévérité.

— J’apprends, dit-il, que, dans cette maison, consacrée à Dieu et au saint ordre du Temple, une femme juive a été amenée par un frère en religion, et vous avez souffert qu’elle y fût introduite, sire commandeur ?

Albert de Malvoisin resta confus et interdit ; car la malheureuse Rébecca avait été enfermée dans une partie du bâtiment reculée et secrète, et toutes les précautions avaient été prises pour y dissimuler sa présence. Il lut dans les regards de Beaumanoir sa ruine, ainsi que celle de Bois-Guilbert, s’il ne trouvait quelque moyen de détourner l’orage.

— Pourquoi gardez-vous le silence ? continua le grand maître.

— M’est-il permis de répondre ? demanda le précepteur d’un ton de voix empreint de la plus grande humilité, bien que, par cette question, il n’eût voulu que gagner un instant pour mettre de l’ordre dans ses idées.

— Parlez, je vous le permets, dit le grand maître. Parlez, et dites-moi si vous connaissez le chapitre de nos règles : De commilitionibus Templi, in sancta Civitate, qui cum miserrimis mulieribus versantur, propter oblectationem carnis ?

— Assurément, très révérend père, reprit le précepteur, je n’ai pu atteindre à cet office dans notre ordre sans connaître une de ses défenses les plus sérieuses.

— D’où vient donc, je le demande encore une fois, que tu aies souffert qu’un de nos frères introduisît ici une maîtresse,