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Le Miroir de ma Tante Marguerite

d’y rester pendant sa vie. Ce droit précaire n’est plus que la dernière ombre de la famille Bothwell des Clos-du-Comte, et le reste de l’héritage paternel ; après la mort de ma tante, il ne restera de cette famille qu’un vieillard infirme, cheminant doucement, et sans regret, vers la tombe qui renferme tout ce qui lui fut cher sur cette terre.

Après m’être livré pendant quelques minutes à de semblables pensées, j’entre dans cette habitation qui, dit-on, n’était autrefois que le logement du concierge du bâtiment originaire, et j’y trouve un être sur lequel le temps semble avoir fait peu d’impression ; car l’âge de ma tante Marguerite me paraît aujourd’hui être celui qu’elle avait lorsque j’étais dans ma première jeunesse ; un enfant de dix ans, qui voit un homme ou une femme de cinquante, ne s’aperçoit pas du changement que le temps apporte dans une personne qu’il a toujours vue vieille.

Le costume de la vieille dame contribue sans doute aussi beaucoup à me persuader que le temps n’a pas marché pour elle. La robe de soie couleur chocolat, manchettes pareilles jusqu’au coude, et par-dessus lesquelles sont d’autres manchettes en mousseline, les gants de soie noire, ou mitaines, ses cheveux blancs roulés sur un coussin et le bonnet de blanche batiste serré autour de son vénérable front : tout ce costume n’était pas celui de 1780 et encore moins celui de 1826 ; c’était un genre qui n’appartenait qu’à ma tante Marguerite. La voilà assise comme elle l’était il y a trente ans, avec son rouet ou son tricot, auprès du feu dans l’hiver, et dans l’été auprès de la fenêtre, et quelquefois se hasardant jusqu’à la porte dans les belles soirées d’été. Son corps, semblable à une parfaite mécanique, exécute les opérations pour lesquelles il est formé, avec la même activité qu’autrefois, et qui, tout en diminuant graduellement, ne montre cependant aucune probabilité qu’elle doive finir bientôt.