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CHAPITRE XIV

Mais que devins-je hélas ! quand au lieu de Tancrède,
Il amène à l’autel, quel changement affreux !
Le détestable Osmont pour recevoir mes vœux !
Mais qui sont-ils ? Je ne puis vous le dire.
Thomson. Tancrède et Sigismond



Une longue pratique dans l’art de la dissimulation avait donné à M. Vere un empire absolu sur ses traits. En quittant ses deux amis pour se rendre chez sa fille, son pas ferme et alerte annonçait un homme occupé d’une affaire importante, mais dont le succès ne lui semblait pas douteux ; mais lorsqu’il jugea qu’ils ne pouvaient plus l’entendre, il ne s’avança plus que d’un pas lent et irrésolu. Enfin il s’arrêta dans une antichambre pour recueillir ses idées et préparer son plan d’argumentation.

— Dilemme plus embarrassant se présenta-t-il jamais à un malheureux ! se dit-il. — Si nous nous divisons, nul doute que le gouvernement ne me sacrifie comme le promoteur de l’insurrection. Supposons même que je parvienne à sauver ma tête, je n’en suis pas moins perdu sans ressource. J’ai rompu avec Ratcliffe, et je n’ai à espérer de ce côté qu’insultes et persécutions. Je serai donc réduit à vivre dans l’indigence et le déshonneur, méprisé des deux partis que j’aurai trahis tour à tour ! Cette idée n’est pas supportable ; et cependant je n’ai à choisir qu’entre cette destinée et la honte de l’échafaud, à moins que Mareschal et sir Frédéric ne continuent à faire cause commune avec moi. Pour cela il faut que ma fille épouse l’un ce soir, et j’ai promis à l’autre de ne pas employer la violence : il faut que je la décide à recevoir la main d’un homme qu’elle n’aime pas, dans un délai qu’elle trouverait trop court pour se déterminer à devenir l’épouse de celui qui aurait su gagner son affection. Mais je dois compter sur sa générosité romanesque, et il me suffira de la mettre en jeu en peignant sous de sombres couleurs les suites probables de sa désobéissance.

Après avoir fait ces réflexions, il entra dans l’appartement de sa fille, bien préparé au rôle qu’il s’apprêtait à jouer. Quoique égoïste et ambitieux, son cœur n’était pas entièrement fermé à la tendresse paternelle, et il sentit quelques remords de la duplicité avec laquelle il allait abuser de l’amour filial d’Isabelle ; mais il les apaisa