Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/368

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quelle eſmotion fut celle du Prince Mazare (que j’apelleray Telephane juſques à ce que je ſois arrivé à l’endroit où vous le rencontraſtes) en voyant le Temple où eſtoit la Princeſſe Mandane : car je voudrois bien s’il eſtoit poſſible, vous cacher ſa paſſion, de peur qu’elle ne vous aigriſſe l’eſprit contre luy. Neantmoins comme la grandeur de ſon amour, eſt ce qui fait voir la grandeur de ſa vertu : il faut que j’aye aſſez bonne opinion de la voſtre, pour croire qu’à la fin de mon recit, vous vous trouverez capable d’avoir quelque admiration, & peut-eſtre quelque amitié pour un Rival tel que luy, quoy que je vous repreſente ſa paſſion extrémement forte pour Mandane. En effet, on ne peut pas en avoir une plus violente : mais ce qu’il y a eu d’admirable, eſt que depuis qu’il a eſté ſorty de ſon Deſert, il n’a jamais eu d’autre penſée, que celle de reparer ſa faute, & d’en obtenir le pardon. Et certes je penſe pouvoir dire, que jamais criminel ne s’eſt repenty comme luy, & n’a eu de ſi cruels remors. Toutes les fois qu’il penſoit que c’eſtoit par la tromperie qu’il avoit faite à Mandane, qu’elle eſtoit enfermée dans le Temple où elle eſtoit, il en avoit une douleur ſi ſensible, que je ſuis eſtonné qu’il n’en eſt mort : & je penſe que ſi ce n’euſt eſté que lors que nous arrivaſmes à Epheſe, le Roy de Pont gardoit le lict, à cauſe qu’il eſtoit ſi bleſſé à une jambe, qu’il n’avoit pas meſme eſté en eſtat de s’opoſer à ceux qui avoient voulu enlever du Temple la Princeſſe Mandane, & la Princeſſe Palmis : je penſe ; die-je, qu’il auroit eu de la peine, quoy que ce Prince euſt ſauvé la vie à la Princeſſe, à ne l’attaquer pas dans les premiers tranſports de la douleur qu’il eut en arrivant en ce lieu là. Mais à la fin venant à ſonger que la mort du Roy de Pont ne delivreroit