Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/99

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Cependant, Madame, pourſuivit il, ſans luy donner loiſir de l’interrompre, j’ay à vous faire sçavoir auparavant que vous parliez, que quoy que vous me puiſſiez dire, je vous adoreray touſjours, avec une paſſion ſans eſgale : & que comme je vous ay aimée dés le premier inſtant que je vous ay veuë, je vous aimeray juſques à la mort. Ainſi ne penſez pas s’il vous plaiſt, qu’en m’eſtant rigoureuſe, vous puiſſiez chaſſer de mon cœur une paſſion que les plus beaux yeux de la Terre y ont fait naiſtre : non Madame, la choſe n’eſt plus en ces termes : & toute voſtre puiſſance, ne s’eſtend pas juſques là. Vous pouvez ſans doute me rendre le plus heureux ou le plus infortuné de tous les hommes : mais vous ne pouvez plus m’empeſcher d’eſtre eternellement à vous, & plus à vous qu’à moy meſme. Parlez donc Madame, luy dit il, comment ſuis-je dans voſtre eſprit ; & me peut il eſtre permis d’eſperer de n’y eſtre pas plus mal que Mexaris ? Mexaris, reprit elle, eſt un Grand Prince, que je regarde aveque le reſpect que l’on doit à ſa qualité : mais pour Abradate, adjouſta t’elle, s’il ne s’eſtoit pas adviſé de deſtruire luy meſme ce que ſon propre merite avoit eſtably dans mon cœur, je l’eſtimerois infiniment. Il eſt vray touteſfois que de l’humeur dont je ſuis, il a mis un grand obſtacle à l’amitié que j’eſtois capable d’avoir pour luy, en me parlant comme il a fait : quoy Madame, interrompit Abradate, je pourrois croire que je ne ſerois pas mal dans voſtre cœur, ſi je ne vous avois point donné de marques de mon amour ! ha ſi cela eſt, je ſuis le plus heureux homme de la Terre, & je n’ay plus rien à vous demander. Ne vous abuſez pas Abradate, reprit la Princeſſe, & croyez s’il vous plaiſt que ce que je vous dis ne vous eſt pas auſſi favorable que vous penſez :