Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/427

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nous y allaſmes d’aſſez bonne heure, afin que cette Promenade ne paruſt pas extraordinaire, Spitridate n’y eſtoit pas encore arrive, car il faloit qu’il attendiſt qu’il fuſt preſques nuit. Ce n’eſt pas qu’il ne fuſt admirablement bien déguiſé, & qu’il ne fuſt logé ſi prés d’une des portes du Jardin, qu’il euſt pû y venir preſques ſans danger : neantmoins je luy avois ſi fort recommandé de ne venir pas trop toſt, qu’il m’obeït : & il s’en faloit peu qu’il ne fuſt nuit quand il arriva. Mais comme la Lune eſclairoit, il n’eſtoit pas fort eſtrange que la Princeſſe ſe promenaſt tard : principale ment y eſtant ſi accouſtumée. Je ne m’amuſeray point à vous redire les remercimens que Spitridate fit à Araminte, de la ſeule faveur qu’elle luy avoit jamais accordée : car ils furent ſi reſpectueux, & ſi pleins de reconnoiſſance & de paſſion, que toutes mes expreſſions ſeroient trop foibles, pour vous faire comprendre les veritables ſentimens de ce Prince. La Princeſſe l’eſcouta preſques ſans luy reſpondre, pendant plus d’un quart d’heure : mais enfin apres avoir fait un grand ſoupir, Spitridate a quelque raiſon, luy dit elle, de m’eſtre obligée de faire ce que je fais pour luy : toutefois il a bien plus de ſujet de ſe pleindre de la Fortune, de ce qu’elle l’a engagé en l’affection d’une perſonne qui ne peut que le rendre malheureux. La Fortune Madame, reprit il, n’a point de part à la paſſion que j’ay pour vous : & elle eſt ſans doute un pur effet de voſtre beauté, de voſtre vertu, de mon inclination, & de ma raiſon tout enſemble : & je ſuis meſme perſuadé, adjouſta t’il, que ſi vous le voulez, toute la malignité de cette capricieuſe Fortune qui perſecute auſſi ſouvent l’innocence, qu’elle protege le vice, ne pourra m’empeſcher d’eſtre