Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/510

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Mandane avoit fait naufrage & eſtoit morte : & qu’aſſurément le Roy de Pont n’eſtoit point aupres de Ciaxare ; parce qu’il euſt eſté impoſſible que ce Soldat qui eſtoit d’Heraclée, & qui s’en eſtoit allé avec les Troupes d’Artaxe ne l’euſt pas sçeu. La Princeſſe ne sçachant donc que dire ny que faire ; reſolut enfin qu’il faloit s’eſloigner de Pont & de Bithinie ; s’aprocher de Capadoce ; & s’eſclaircir de ce que ce Soldat avoit dit. Nous tinſmes donc toute la nuit & tout le lendemain cette route : mais vers le ſoir il ſe leva une tempeſte furieuſe, qui dura toute la nuit ſuivante : apres laquelle le vent nous jetta contre un banc de ſable ; où par bonne fortune nous ne fiſmes qu’eſchoüer, ſans que le Vaiſſeau ſe briſast. En ce lieu là, nous viſmes toute la Mer couverte des débris d’un naufrage : & ſur des pointes de Rochers aſſez prés de nous, quelques gens morts, & quelques autres mourans. Nous fuſmes pourtant aſſez long temps ſans pouvoir mettre l’Eſquif en mer, pour aller voir s’il n’y avoit quelqu’un de ces miſerables en eſtat d’eſtre ſecouru, parce que la tempeſte duroit encore : Mais comme les flots furent un peu calmez, on y fut ; & on trouva qu’il y en avoit encore deux qui reſpiroient. On les aporta dans noſtre Vaiſſau : où ils ne furent pas ſi toſt, qu’eſtant allée par charité donner quelque conſeil à ceux qui les aſſistoient, je reconnus un de ces hommes, pour eſtre un Eſclave du Roy de Pont. Je ne l’eus pas pluſtost veû que je fis un grand cry ; & que l’apellant par ſon Nom, il tourna les yeux de mon coſté, & fit effort pour me reſpondre ſans le pouvoir faire. Il paroiſſoit pourtant bien qu’il me connoiſſoit : car il levoit les mains au Ciel, comme pour deplorer l’