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Page:Segur - La Fortune de Gaspard.djvu/294

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vide que je ne puis remplir. Je me demande quel sera mon avenir ? pour qui et pour quoi je dois continuer à travailler, à m’éreinter, à m’agiter ? Quelque chose me manque et je ne sais ce que c’est… Mais, ajouta Gaspard après quelques instants de silence, ne penses-tu pas qu’il serait temps de rentrer ? Après dîner, je te parlerai de toi-même ; jusqu’ici nous n’avons causé que de moi.

Lucas.

Il n’y a pas grand-chose à dire de moi, c’est toujours la même vie ; mon père la gâte un peu par ses colères ; il ne me touche plus, mais quand il a trop bu de gros cidre, ce qui lui arrive souvent, tu sais, il gronde encore ma mère quelquefois. Du reste, il se laisse mener assez volontiers. »

Les deux frères rentrèrent à temps : la mère allait mettre le couvert. Lucas courut l’aider.

« Viens aussi, Gaspard ; viens me donner un coup de main. »

Gaspard y alla en souriant ; il aida gauchement et sans gaieté. Lucas s’en aperçut et soupira.

« Il n’est plus des nôtres, pensa-t-il ; ce n’est plus un frère pour moi ni un fils pour mes parents. »

Gaspard réfléchissait de son côté.

« Quelle sotte vie ils mènent ici ! Que je serais malheureux s’il me fallait vivre avec eux ! Quelle différence avec mon usine ! Quelle vie ! Quelle activité ! Quelle animation ! Et combien je préfère