Page:Selden – Les Derniers Jours de Henri Heine, 1884.djvu/88

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raconter à lui-même. Des mots tendres, imprévus, poétiques, sortaient de là comme des roses d’entre le fumier, et me ramenaient vers le poète comme je m’éloignais malgré moi du viveur, du libertin raffiné et sceptique. Un jour, s’apercevant qu’il m’effrayait, il allongea son bras vers le mien et le serra avec force. « Pardon, dit-il. Mais cela va bientôt finir. Vois-tu, c’est la faute de la mort qui arrive. Elle approche à grands pas, et, quand je la sens ainsi tout près de moi, comme à présent, j’ai besoin de me cramponner à la vie, fût-ce par une poutre pourrie. »

Il parlait bas, et sa voix creuse semblait sortir de la bouche d’un mort, ou plutôt des lèvres blafardes d’un de ces vampires qui, selon la sombre légende hongroise, quittent la tombe pour venir visiter nuitamment le domaine des vivants, et leur ravir les forces dont le vampire a besoin pour ranimer son cadavre.