Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/113

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sauroit être vaincue tout à coup, elle peut être énervée lentement ; elle ne meurt point, elle s’endort. Dans cet état, de légères attaques peuvent l’affoiblir plus encore : mais si elle reçoit une atteinte profonde, alors l’indifférence cesse, le voile n’est plus ; elle sent combien elle est tombée, elle s’indigne, et cette indignation la remet à sa hauteur : à ce coup terrible elle appelle toute sa force ; la voici debout dans son attitude imposante ; qui pourroit l’abattre sans la tromper par le sommeil ?

Quand la tourmente s’annonce sur les mers orageuses, le pilote appelle son art, et son art lutte contre la tourmente. Quand le calme le saisit sur les plages de la Pacifique, il n’est plus d’art, plus d’effort, ou se consume lentement, ou périt dans l’abattement, c’est un calme de mort. L’homme de génie s’élève contre de grands malheurs, il les combat, il les surmonte. Quand de lentes douleurs l’oppriment froidement, quand les ennuis le harcèlent et l’accablent, il est terrassé sans combat, il s’éteint sans résistance.