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rapports, fait voir toutes choses également et indifféremment. Dans le monde intellectuel, comme dans le monde visible, l’objet présent efface ou surpasse d’abord tout[1] objet éloigné : il faut, à la pensée comme à l’œil, une sorte d’habitude de voir universellement pour substituer les rapports réels aux rapports apparens ; autrement ce que nous desirons ou craignons, ce que nous éprouvons actuellement absorbe toutes nos facultés. Cet objet présent devenu gigantesque par sa proximité, ne nous laisse voir que lui-même. Trompés par cette disproportion, nous ne trouvons en cette perpétuelle erreur ni modération dans nos joies, ni allégemens dans nos peines. Cette fausse estimation, convenable dans la vie primitive, devient dans la vie sociale la source générale de nos inconséquences et de nos misères.

La philosophie, en rétablissant les proportions et les convenances réelles, fait évanouir

  1. L’œil inexpérimenté voit tous les objets sur un même plan ; ainsi deux choses égales, placées l’une très-près, l’autre à une grande distance, ne peuvent que lui paroître extrêmement dissemblables ; celle-ci n’occupe que la millième partie de l’espace visuel, tandis que l’autre le remplit presqu’en entier.