Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/131

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solument exempte de vide et de vanité[1] et qu’aucune institution humaine, aucune œuvre d’une main partielle puisse être jamais sans nulle discordance avec la nature universelle. La plus sublime philosophie, le dernier effort de l’esprit humain égaré dans la route trouvée

    n’est pas effectuée ; l’on ne pourra nulle part ce qu’en vain l’on a tenté ici. L’indication de la nature et la perfection humaine consistent évidemment à avoir de mauvaises lois effectives, fondées sur de savantes abstractions, à déclamer contre cent crimes imaginaires, en honorant cent fléaux réels ; à livrer tout au hasard, à l’intrigue et à l’insatiabilité individuelle, sous les noms fastueux d’ordre, de but politique, de bien public ; à poser dans la région de l’idéal le niveau de l’égalité au-dessus de la pompe des voluptueux et de l’abandon des mendians, en pressant le char audacieux de l’égoïste et du scélérat triomphateur, sur les débris dédaignés du patriote sacrifié et des génies opprimés.

  1. Si tout est nécessaire, que sont les efforts, les préceptes et toute la moralité de la philosophie même ? Ce que nous attribuons à notre sagesse, n’est que l’effet inévitable de causes indépendantes et même inconnues de nous. Le sage conduit par la philosophie au calme et à l’emploi de la vie, supérieur par elle aux plus puissans et aux plus vénérés des mortels, ne peut se complaire lui-même dans cette philosophie si rare et si profonde, et ne peut la préférer sérieusement au plus simple instinct animal.