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Ce que nous nommons mauvais ou bon est toujours ce qui nuit ou convient à l’ordre que nous voulons établir ; ordre momentané que la nature n’a pas préparé positivement, quoiqu’elle l’ait laissé possible.

L’homme est ce qu’il doit être. Ses penchans, déterminés par ses besoins et dès-lors effets immédiats de sa nature, ne peuvent être mauvais et bons que relativement à une situation particulière. Ils sont essentiels, indélébiles. Vous voulez faire l’homme ce qu’il ne doit point être, et vous appelez méchanceté originelle la résistance que vous éprouvez en sa nature, mais modelez sur elle vos institutions, et vous trouverez que l’homme, comme toute autre partie de l’universalité des choses, est nécessairement bon, non point selon des convenances factices ou les caprices d’un législateur, mais selon ses rapports dans l’ordre général.

Si la résistance est inévitable et toujours victorieuse de nos funestes efforts, et que nous disions, l’homme est donc né méchant, nous ressemblons à l’insensé qui, s’obstinant à suspendre une pierre ou une colonne d’eau, accuseroit de dépravation naturelle la pierre ;