Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/155

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parce qu’elle tombe, et l’eau parce qu’elle se nivelle.

Dans l’alternative de plier la nature à nos caprices ou de vouloir ce qu’elle indique, concevez-vous que l’on ait pu balancer ; concevez-vous que l’on ait choisi de réformer la nature, et que ces prétendus réformateurs aient été les législateurs des nations ; ou si vous le concevez sans peine, n’avez-vous jamais désespéré de l’homme ? La vanité de sa sagesse est plus sinistre que les fureurs de ses passions. Qu’il asservisse l’Afrique pour travailler un misérable roseau, qu’il dévaste l’Amérique pour recueillir un métal inutile, et mutile l’Asie pour insulter à ses femmes ; l’on s’indigne et l’on espère encore ; mais que, vil troupeau traîné au carnage, il se presse par millions au geste insolent d’un Xercès ou d’une Sémiramis pour des caprices dont on ne daigne pas l’instruire ; mais que, chargé d’oppressions, de vices et de misères, entassé avidement dans des prisons fangeuses, il vante ses jouissances et son industrie ; mais qu’élevé sur ses propres ruines, le fantôme masqué d’une splendeur illusoire, applaudisse stupidement à sa dépravation colossale ; l’on est attéré, l’on accuse la nature de n’avoir pas