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plaisirs réels reçoivent de leur présence, de leur entière conviction, et de leur accord avec la situation de nos organes.

Mais, disent nos froids moralistes, le plaisir est dangereux, il nous corrompt[1] sans nous satisfaire ; il énerve les âmes, et les rend incapables de tout effort vertueux. Tout son prestige n’est qu’une vanité indigne du sage ; il passe comme une lumière instantanée, et son inutile éclat rend plus sinistres les ténèbres qu’il ramène.

Le plaisir est corrupteur. Je conviens qu’il est contraire à notre morale, et c’est ma plus forte preuve contre elle. Je conviens aussi que beaucoup de nos plaisirs sont contraires à toute vertu, et c’est encore un des bienfaits de notre morale.

  1. J’ignore de quelle corruption, de quel danger l’on parle, et je conçois peu que le vrai plaisir puisse jamais corrompre. Je vois, parmi les peuples sans plaisir, beaucoup d’hommes méprisables et de vils scélérats ; j’y vois un nombre plus grand de malheureux, et fort peu de vertus et de mœurs utiles ; mais à la vérité beaucoup d’esclaves très-dociles, et qui m’assurent que c’est cela que l’on cherche sans l’oser dire. Je compte aussi pour quelque chose de n’y point trouver de bonheur ; mais je n’aurai point en cela l’injustice d’accuser notre politique : comment eût-elle atteint ce qu’elle n’a pas cherché ?