Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/198

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velles, on a cru les modérer suffisamment en distinguant deux égalités ; l’une absolue, que l’on a jugé commode de déclarer impraticable, l’autre relative qui l’est réellement. Ceux qui veulent s’élever à l’ombre de l’égalité, disent, nous ne serons pas égaux en toutes choses, cela ne se peut ; (en effet ils le rendent ou le laissent impossible) mais nous serons égaux devant les lois, et cette promesse est dérisoire, ils sont assurés de n’établir qu’une forme vaine. Cette distinction a trompé des publicistes de bonne foi qui n’avoient pas étudié l’homme, et servit, pour le malheur des peuples, les gouvernans qui le connoissoient mieux.

Une forme extérieure, contraire à la nature des choses, ne sauroit être qu’apparente et mobile. On ne crée rien en politique, en disant, que cela soit ainsi, et nul sophisme ne nous persuadera que les résultats puissent être semblables quand les moyens sont opposés. L’un a beaucoup de talens, de richesses et de considération ; l’autre est inepte, pauvre et méprisé : peut-être ils sont égaux devant la loi, mais assurément ils ne le seront point devant ses interprètes. L’injustice sera toujours inévitable parmi nous, soit que malgré les inconvéniens des lois diffuses et sous-divisées, nous prétendions prévoir dans les