Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 239 )

de l’action égale de deux efforts opposés en direction. Ne disons pas que le bien étant préférable au mal, cet accord ne fait point un univers parfait. Souvenons-nous que la préférence absolue que nous donnons aux biens est dans leurs rapports à nous, une vérité de sentiment ; mais que dans l’étude de l’essence des choses, il peut n’être qu’une erreur de raison : le désir des biens nous fut donné pour balancer par son énergie la force de la nécessité qui nous impose les maux ; qu’il dirige nos actions, mais qu’il n’abuse pas notre raison. La nature ne nous fait toujours desirer que pour que nous ne souffrions pas toujours ; elle ne veut pas que nous n’ayons que des biens, seulement elle nous les fait desirer exclusivement, afin que la force contraire ne nous livre pas au mai exclusif. Bien loin que nos désirs puissent prouver que les biens sont seuls bons, ils sont au contraire une grande preuve que les compensations sont la loi de la nature ; cette preuve est en nous, et nulle n’est plus sensible. Que la nécessité, c’est-à-dire la force indépendante de notre volonté, soit victorieuse de nos désirs, et que notre vie soit livrée aux douleurs, elle nous conduit au désespoir ; que notre volonté parvienne à régler notre destinée, et qu’elle livre