Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/271

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On a comparé très-justement la vie morale à la course d’un vaisseau, les vents aux passions, le gouvernail à la raison, et les dispositions des voiles aux diverses situations intérieures que l’on modifie soi-même. Toutes les passions sont bonnes entre les mains du sage ; le pilote le plus habile est celui qui fait route le plus près du vent. Un calme absolu est le plus redoutable fléau et dans les cœurs et sur les ondes. Souvent on surmonte l’orage, mais dans l’apathie on périt inévitablement. On fait effort contre les vagues furieuses ; on se livre au désespoir sur la mer immobile.

Sans doute cet état de langueur et de dégoût est la plus funeste et la plus sinistre altération de notre nature ; il se nourrit de lui-même, et se fortifie par sa propre durée ; il repousse tout soulagement, il est sans terme, il est irrémédiable ; il produit l’inaction, et l’inaction le perpétue ; il fait taire les passions, et leur silence le livre à lui-même. Il décolore et flétrit la perpétuelle régénération des jours ; vainement leur succession incertaine et variée place l’illusion dans leur mobilité, et les rend intéressans parce qu’il sont précaires : vain prestige de la vie, charme à jamais inutile à