Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/36

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Ô profondeur vraiment sinistre, tu appartiens à la dissolution ; mais le renouvellement ne peut te reproduire ! Tu as vécu, tu as senti, tu as pensé durant un jour rapide, pour ne plus penser, ne plus sentir jamais… jamais. Cet univers s’épuise et s’alimente, se dévore et se renouvelle ; il subsiste toujours vieilli et toujours renaissant : mais toi, tu ne renaîtras pas. Les tems s’écouleront incalculables, une seule heure ne te sera pas donnée. Des siècles plus heureux consoleront l’humanité ; tu ne verras pas ces siècles plus heureux. La nature te devient étrangère, tu ne l’admireras plus, tu ne l’entendras plus. Ce soleil se lèvera, tu ne le verras pas ; la terre fleurira, tu ne le sauras pas. Ce chêne, déjà vieux quand tu naquis, ranimera ses rameaux séculaires ; mais son ombrage rajeuni s’étendra sur ta tombe. Celle que tu aimois… elle t’appelle ; elle se fixe près de toi dans le silence de la nuit ; elle pleure, et tu ne sens pas ; elle pleure, mais sa larme amère s’arrête réfroidie sur la pierre impénétrable qui pèsera long-tems sur ta cendre éteinte.

Comme elle est sinistre cette idée de destruction totale, d’éternel néant ; elle fatigue, elle travaille tout notre être, elle le pénètre