Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/34

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forte impulsion. Si j’avais à sortir de la vie ordinaire, si j’avais à vivre, et que pourtant je me sentisse découragé, je voudrais être un quart d’heure seul devant un lac agité : je crois qu’il ne serait pas de grandes choses qui ne me fussent naturelles.

J’attends avec quelque impatience la réponse que je vous ai demandée ; et quoiqu’elle ne puisse en effet arriver encore, je pense à tout moment à envoyer à Lausanne pour voir si on ne néglige pas de me la faire parvenir. Sans doute elle me dira bien positivement ce que vous pensez, ce que vous présumez de l’avenir ; et si j’ai eu tort, étant moi, de faire ce qui chez beaucoup d’autres eût été une conduite pleine de légèreté. Je vous consultais sur des riens, et j’ai pris sans vous la résolution la plus importante. Vous ne refuserez pas pourtant de me dire votre opinion : il faut qu’elle me réprime ou me rassure. Vous avez déjà oublié que je me suis arrangé en ceci comme si je voulais vous en faire un secret : les torts d’un ami peuvent entrer dans notre pensée, mais non dans nos sentiments. Je vous félicite d’avoir à me pardonner des faiblesses : sans cela je n’aurais pas tant de plaisir à m’appuyer sur vous ; ma propre force ne me donnerait pas la sécurité que me donne la vôtre.

Je vous écris comme je vous parlerais, comme on se parle à soi-même. Quelquefois on n’a rien à se dire l’un à l’autre, on a pourtant besoin de se parler ; c’est souvent alors que l’on jase le plus à son aise. Je ne connais de promenade qui donne un vrai plaisir que celle que l’on fait sans but, lorsque l’on va uniquement pour aller, et que l’on cherche sans vouloir aucune chose ; lorsque le temps est tranquille, et peu couvert, que l’on n’a point d’affaires, que l’on ne veut pas savoir l’heure, et que l’on se met à pénétrer au hasard dans les fondrières et les bois d’un pays inconnu ; lorsqu’on parle des champignons, des