S’ils pouvaient à loisir, par les nuits étoilées,
S’enivrer du parfum des bosquets rajeunis ;
Si l’aube les berçait parfois, dans les vallées,
Au frais gazouillement des sources et des nids,
Ils ne seraient pas moins savants que nous ne sommes ;
L’amour leur parlerait un langage aussi doux ;
Et nous serions surpris de voir en eux des hommes
Plus sincèrement bons[1] que la plupart de nous !
Mais jusqu’à l’heure où ceux qui se disent leurs frères
— Et qui vivent loin d’eux — voudront se souvenir,
Ils vont par les chemins où sont passés nos pères,
Et pensent que leur tour est bien lent à venir !
* * *
O les fiers chevaliers des croisades antiques,
Qui, sur l’appel d’un moine aux frémissants discours,
Quittaient le fauve abri de leurs donjons gothiques
Et la terre où gaîment fleurissaient leurs amours ;
Partaient pour l’inconnu, comme on part dans un rêve,
Chevauchant devant eux, tout droit vers le soleil ;
S’endormaient au hasard, dans les bois, sur la grève,
Sûrs d’entendre partout sonner, à leur réveil,
L’allègre carillon de leur âme héroïque ;
S’en allaient, s’en allaient, à la garde de Dieu,
Sous la clarté du ciel auguste et pacifique,
Toujours plus grand, toujours plus pur, toujours plus bleu ;
Couraient à la bataille avec des cris de fête,
Frappaient, étaient frappés ; défiaient le vainqueur,
Se redressaient, vivaient ; ou, bravant la défaite,
Tombaient, la lance au poing et la croix sur le cœur !
* * *
Quel apôtre nouveau, pour les luttes prochaines
Réveillera ces preux aux éclats de sa voix !
Ou que n’ont-ils du moins fait jaillir dans nos veines
Quelques gouttes du sang généreux[2] d’autrefois !