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INTRODUCTION.

nourrir deux cents pauvres devant la porte de son hôtel, dans Throgmorton-Street. La prospérité lui avait laissé la mémoire du cœur. On citait de lui des traits touchante. Il y avait à Honslowe, près de Londres, une pauvre femme qui tenait une petite auberge, et chez qui, dans les temps difficiles, il s’était endetté. Un jour il fit venir la femme, lui rendit les quarante shillings qu’il lui devait, et lui accorde, sur sa cassette, une pension annuelle de quatre livres. — Dans son voyage en Italie, un certain Frescoballi, marchand florentin, lui avait prêté seize ducats pour payer les frais de son retour en Angleterre. Il manda ce Frescoballi, qui depuis lors s’était ruiné, et lui rendit seize cents ducats. — Le lord acquittait ainsi avec usure les dettes du plébéien. Cette rare générosité, loin de désarmer ses ennemis, les exaspérait. Cromwell, favori d’un despote, ne pouvait se faire pardonner par les haines qu’il avait rendues jalouses. Roturier anobli, il était exécré par la haute aristocratie, que menaient les ducs de Norfolk et de Suffolk ; réformateur schismatique, il était maudit par le parti catholique, que dirigeait l’évêque Gardiner. Aussi Cromwell avait-il, au faîte du pouvoir, la perpétuelle inquiétude de la chute. « Dépêchez-vous de faire fortune, disait-il à ses partisans ; je suis trop grand pour durer longtemps. » Et il souriait tristement. Ses adversaires, ligués pour le renverser, guettaient depuis longtemps l’occasion ; en 1540, Cromwell lui-même la leur fournit.

Depuis deux ans, le roi était veuf de lady Seymour, morte en couches, après avoir mis au monde le prince Édouard. Il était grand temps de remarier Henry VIII, à qui pesait ce célibat de deux années. Le parti de la haute aristocratie catholique intriguait pour que Sa Majesté épousât lady Howard, nièce du duc de Norfolk. Cromwell était perdu si cette intrigue réussissait. Il crut la déjouer par un coup de maître, en offrant au roi une allemande luthé-