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LES APOCRYPHES.

a été fermé pour onze ans par ordre du conseil privé, — c’est justement la satire violente qu’elle renferme à l’adresse de George Peele. Peele, qui, dès 1583, avait fait jouer devant la reine Élisabeth la pastorale du Jugement de Pâris, était alors en pleine possession de son éphémère renommée. Il avait été proclamé l’Atlas de la poésie par le publiciste Thomas Nash, dans une préface retentissante, publiée en 1587, qui dénigrait Hamlet. Il était l’un des fondateurs du théâtre anglais, qu’il prétendait asservir à l’imitation pédantesque des modèles classiques. Ami intime de Greene, il se croyait, comme celui-ci, personnellement lésé par la révolution littéraire qui se préparait, et il faisait partie de cette cabale qui dénonçait, comme un intrus et un plagiaire, l’immortel chantre de Roméo et Juliette.

Écrite et représentée avant 1589, la Puritaine répondait spirituellement aux détracteurs de Shakespeare. Sous un pseudonyme transparent, elle dénonçait dans ce rimeur, que l’envie proclamait l’Atlas de la poésie, un malhonnête homme qui avilissait, par l’indignité de sa vie, la dignité de l’art. Une pareille dénonciation, publiée primitivement en 1607, n’aurait plus eu de sens et n’aurait plus été comprise. Elle n’eût plus été qu’une inutile flétrissure infligée a un misérable écrivain, mort depuis dix ans, tué doublement par la débauche et par l’oubli.

Je crois donc fermement que la Puritaine a été écrite dans l’intervalle de 1584 à 1589, à une époque où elle était encore une réplique efficace, peut-être nécessaire, à d’odieuses attaques. A-t-elle été écrite par Shakespeare ? Je ne l’affirme pas. Mais je suis convaincu que cette œuvre a été, sinon conçue, du moins inspirée par lui. Selon moi, cette comédie, si vive et si alerte, pleine de traits piquants et d’allusions mordantes, a été une sorte d’arme de guerre imaginée au début de la révolution shakespearienne, et dirigée à la fois contre deux coteries