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INTRODUCTION.

la barbarie et apprivoiser la sauvagerie, que la Providence a prédestinée à la colonisation des contrées les plus lointaines, et à qui les événements ont livré l’Inde, le Canada, le Cap, le nord de l’Amérique, le sud de l’Afrique, le sud de l’Asie et l’océanien entière, — cette âme à qui est échue la souveraineté des mers et qui doit combattre partout à l’avant-garde de la civilisation, — cette grande âme, le puritanisme la tient et la déforme peu à peu. Il la dessèche, en lui imposant la norme étroite de sa rigidité cagote. Il la stérilise, en lui interdisant, par une éducation strictement biblique, le noble exercice des plus hautes facultés de l’esprit, l’imagination et la raison. Il la condamne à l’idolâtrie d’un texte. Il lui communique ses préjugés, ses superstitions, ses pruderies, son intolérance. Il lui inspire ses antipathies stupides et ses haines aveugles. Il fausse en elle la logique, cette droiture de l’intelligence. Il la détourne de la pensée pure et il la rend incapable de philosophie. Il lui apprend à maudire l’art comme un mensonge, et la poésie comme une imposture. Il lui enseigne à traiter de fausseté le beau, cette splendeur du vrai.

Le puritanisme habitue l’Angleterre à dédaigner les œuvres qui furent l’orgueil d’Athènes et de Rome. Il la pousse à proscrire les plus sublimes fictions du génie. Il lui prêche le mépris du théâtre et l’horreur du roman. Il la force à oublier lord Byron et à nier Shelley, en attendant qu’il la réduise à ne plus comprendre Shakespeare.

Terribles prédications dont on entrevoit, dans un avenir prochain, les funestes conséquences ! Que l’Angleterre y prenne garde ! Elle est entraînée vers un abîme par cette incessante propagande qui date de trois siècles. Elle, la vieille missionnaire du progrès, elle sombre visiblement dans les ténèbres de l’obscurantisme religieux. La diminution des lumières se manifeste déjà chez elle par la décroissance des talents. La muse radieuse, qui anima tant de merveilleux