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LES APOCRYPHES.

but en les plaçant ainsi ; c’est le hasard qui l’a voulu. Du côté gauche est le cœur : Palémon avait la meilleure chance ! » Mais écoutez ! de nouveaux cris se font entendre ! Ce n’est plus Palémon qu’on acclame, c’est Arcite. En effet Arcite, un instant acculé par son adversaire, a été dégagé par ses seconds et a ressaisi l’avantage. Décidément c’est Arcite qui l’emporte. La fortune s’est déjugée, et voilà Émilie qui se dédit à son tour. « Les moins clairvoyants voyaient bien qu’Arcite n’était pas un enfant ! Dieu du ciel ! la splendeur du courage rayonnait en lui… Je croyais bien qu’il arriverait malheur à Palémon, mais je ne savais pas pourquoi je croyais cela… Hélas ! pauvre Palémon ! » Et, suffoquée par les sanglots, elle va se livrer à Arcite dont elle s’imagine être la femme. Mais Émilie se trompe encore : elle croit se marier avec Arcite, et c’est Palémon qu’elle épousera. Elle plaint Palémon, et c’est Arcite qu’elle doit pleurer. Car, au moment même où Arcite, couronné de lauriers, accourait vers Émilie, il a été précipité à terre par le cheval qu’Émilie elle-même lui avait donné, et on l’apporte expirant sur la scène :

— Palémon ! murmure le mourant, prends Émilie et avec elle toutes les joies du monde… Tends-moi ta main… Adieu ! J’ai compté ma dernière heure… J’ai été infidèle, mais jamais traître. Pardonne-moi, cousin !… Un baiser d’Émilie !… C’est fait… Prends-la, je meurs.

Et Émilie, devenue la femme de Palémon, ferme les yeux d’Arcite.

Ces dernières scènes sont d’un maître. Shakespeare seul a pu faire retentir si distinctement les battements les plus intimes et les plus délicats d’un cœur de femme. Ces tergiversations d’Émilie, ces doutes, ces contradictions, ces aveux et ces désaveux, ces déclarations et ces réticences fiévreuses sont comme les grondements orageux qui précèdent et qui annoncent le coup de foudre de l’amour. Phi-