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INTRODUCTION.

J’appelle les réflexions de la critique sur ces vers bien curieux que Shakespeare met dans la bouche de l’archevêque de Cantorbéry à la deuxième scène de Henry V. L’archevêque, voulant encourager le roi à réclamer la couronne de France, lui cite l’exemple de son aïeul et lui rappelle ce triomphe que parait le roi d’Écosse envoyé tout exprès par l’Angleterre en France. Or quel est le roi d’Écosse dont il est question ici ? Ce ne peut être que David II, fils de Robert Bruce. Mais jamais en réalité David II captif n’a été envoyé en France. Chacun sait que ce prince, fait prisonnier par un simple écuyer nommé John Copland, à la bataille de Nevils’ Cross, en 1346, fut immédiatement mené au manoir qui servait de résidence à cet écuyer, puis, sur la réclamation du roi Édouard III, transféré à la Tour de Londres, où il resta enfermé dix ans. Ce n’est donc pas à un événement historique, mais à un incident imaginaire, que Shakespeare fait allusion, quand il mentionne l’envoi de David II sur le territoire français. Eh bien, cet incident imaginaire, c’est la conclusion même d’Édouard III, et c’est évidemment cette conclusion qu’affirme à nouveau Shakespeare. La légende, imaginée pour des raisons spéciales par l’auteur d’Édouard III, est volontairement et expressément consacrée par le chantre de Henry V. Shakespeare eût-il ainsi adopté sans nécessité la fiction d’un autre poëte ? Je ne le crois pas. Selon moi, il s’est approprié ce qui lui appartenait, en rappelant une tradition scénique dont il était l’auteur, et il a ainsi organiquement relié l’épopée d’Azincourt à l’épopée de Crécy.

Les vers de Henry V, que je viens de citer, constituent, on en conviendra, une présomption bien forte en faveur de ma thèse. Mais, quelque probante qu’elle soit, cette présomption ne m’autoriserait pas à intercaler Édouard III dans le théâtre de Shakespeare, si ma témérité n’était pas