Page:Shakespeare, apocryphes - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1867, tome 3.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
108
LA TRAGÉDIE DE LOCRINE.

ce temps-ci ? Pour ma part, je l’ai souvent échappé belle cette année ; mais, Dieu soit loué ! j’ai tout surmonté à force de courage… Ma femme et moi, nous sommes au mieux pour le moment, grâce à ma virile énergie ; car je vais vous dire, mes maîtres, un certain jour, je suis rentré le soir, ma foi, complètement pris de vin ; je suis monté quatre à quatre dans la chambre, où ma femme, tranquillement assise, le dos contre le lit, était en train de bercer mon petit bébé, en chantant lullaby. Dès qu’elle m’a vu venir le nez au vent, croyant que j’étais ivre, comme je l’étais en effet, elle a empoigné un bâton, elle est venue furieusement à moi, avec un air atroce, comme si elle allait me dévorer d’une bouchée, et elle m’a foudroyé de ces paroles : Misérable ivrogne ! où as-tu été si longtemps ? Je t’apprendrai à me faire passer des nuits pareilles ! Et sur ce, elle a fait mine de m’appliquer un atout. Moi, tout en tremblant qu’elle ne me mît ses dix commandements sur la figure, j’ai couru sur elle, et, la saisissant solidement par la ceinture, je l’ai jetée vaillamment sur le lit, puis je me suis jeté sur elle, et alors je l’ai tellement charmée par mes ébats que depuis elle m’a toujours appelé son petit mari, et a complètement cessé de maugréer. Et voyez les bonnes dispositions de la créature ! Elle m’a acheté avec sa dot un coin de terre, et c’est ainsi que je suis devenu l’un des hommes les plus cossus de notre paroisse… Ah çà, mes maîtres, quelle heure est-il ? Il est l’heure du déjeuner… Vous allez voir ce que j’ai pour mon déjeuner.

Il s’assied et étale ses provisions.
humber.

— Y eut-il jamais une terre aussi inféconde que cette terre ? — Y eut-il jamais un bois aussi désolé que ce bois ? — Y eut-il jamais un sol aussi stérile que ce sol ? — Oh ! non. La terre où demeurait la Famine squalide — ne saurait se comparer à cette terre maudite. — Non ! le climat