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INTRODUCTION.

et de la parodier. Par exemple, elle donne pour pendant aux infortunes conjugales de Locrine les mésaventures intimes du savetier Strumbo, qui perd sa première femme dans l’incendie d’une ville prise d’assaut par les Huns, et qui épouse sa seconde femme sous la menace des coups de bâton. Ailleurs, dans une scène où le même Strumbo est arraché à son échoppe par l’enrôlement forcé, elle montre malicieusement le peuple faisant tous les frais de cette gloire militaire, dont se parent si solennellement les princes et les rois de la tragédie. Cette contradiction si frappante entre la portion comique et la portion dramatique de Locrine atteste, selon moi, la mise en présence de deux formes et de deux pensées complètement différentes, pour ne pas dire hostiles. Voyons maintenant si les faits viennent à l’appui de la conclusion à laquelle je suis ainsi amené par l’examen même de l’œuvre.

Le titre de l’édition princeps de Locrine, publiée en 1595, indique nettement que cette pièce, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est le résultat d’une collaboration. Primitivement composé par un auteur anonyme, Locrine fut revu et corrigé, vers 1594, par un écrivain dont le prénom et le nom commencent par les mêmes initiales que le prénom et le nom de William Shakespeare.

Quel est le créateur original de Locrine ? Quel en est le correcteur ? Tel est le problème qui a jusqu’ici défié la sagacité des experts. Selon Steevens, Locrine aurait été primitivement écrit par Marlowe, qui mourut en 1593, puis, le 20 juillet 1594, enregistré au Stationers’hall, et, après cet enregistrement, révisé pour la mise en scène par un certain William Smith. Comment est-il possible que la révision d’une œuvre de Marlowe, auteur dramatique fort célèbre et fort apprécié, ait été confiée à un écrivain obscur, inexpérimenté, n’ayant jamais travaillé pour le théâtre, à ce William Smith, dont la biographie n’existe nulle part, et