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INTRODUCTION.

braire William Jones. On ne se figure pas Lord Cromwell servant de trait d’union entre le Marchand de Venise et Othello. Mais toutes ces faiblesses que les experts anglais signalent si justement dans Lord Cromwell, ce défaut de composition, ce manque d’unité dans l’exécution, ce décousu de l’action, ces défaillances du dialogue, s’expliquent tout naturellement par l’inexpérience de l’auteur, si, suivant l’avis de Tieck, nous regardons Lord Cromwell comme le premier effort littéraire de Shakespeare. Le grand nombre de rimes qu’on remarque dans cette pièce tend à indiquer qu’elle a été écrite antérieurement à l’adoption du vers blanc, si heureusement introduit par Marlowe dans la poésie dramatique, c’est-à-dire avant 1585. Si l’indication est exacte, comme je le crois, Lord Cromwell aurait été conçu bien longtemps avant les Deux gentilshommes de Vérone et la Sauvage apprivoisée, c’est-à-dire à l’aube du génie shakespearien dont il serait la première lueur.

Et en effet considérez Lord Cromwell comme l’essai du tout jeune Shakespeare, et vous reconnaîtrez que cet essai n’est pas indigne de ce grand esprit adolescent. La pièce, toute défectueuse qu’elle est, a de l’intérêt, du mouvement et de la vie. La langue qu’on y parle n’est plus cette langue outrée et emphatique que nous remarquions tout à l’heure dans Locrine et qui caractérise presque toutes les compositions de Greene, de Peele et de Marlowe. Le dialogue, généralement simple, aisé, naturel, est çà et là soulevé par un véritable souffle lyrique. La partie tragique, modelée sur la lamentable histoire, se termine grandement par cette parole suprême qu’adresse le bourreau à Cromwell : Milord, je suis l’homme de votre mort. Quant à la partie comique, elle rappelle, par sa franche gaieté, les amusantes scènes de Périclès et de Henry VI. Ce n’est pas encore l’humour superbe qui doit engendrer Falstaff, mais c’est