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SCÈNE II.

suivit l’affaire à outrance et n’eut pas de cesse que je n’eusse tourné mon bâton de route vers Londres. Quand j’arrivai dans la cité, tous mes amis étaient dans la fosse tous partis pour la tombe… Il est vrai de dire que j’en avais laissé fort peu… Ainsi réduit aux ressources de mon esprit, j’ai dû faire mon chemin dans le monde, en me lançant au milieu des jeunes héritiers, des imbéciles, des dupes et des fils aînés des grandes dames, en exploitant le néant, en tirant ma nourriture du pavé ; et depuis lors ma bedaine n’a cessé d’être l’obligée de ma cervelle. Mais, pour revenir à vous, mon vieil Escarmouche, je suis de votre avis ; et pour ma part je souhaiterais qu’il y eût du trouble dans le monde ; car je n’ai rien au monde que mon esprit, lequel est, je crois, aussi enragé qu’il peut l’être. En confirmation de votre thèse, je dis qu’une honnête guerre vaut mieux qu’une paix corruptrice. Voyez ma profession. La multiplicité des savants couvés et nourris dans le calme plat de la paix, les fait ressembler aux poissons : ils se dévorent les uns les autres. La vulgarité de l’instruction a influé sur les mœurs, de telle sorte que la religion s’égare dans la fantaisie et se discrédite à force d’être discutée par de tant de bouches infimes. Moi-même, qui suis clerc et gradué, tout le profit que je tire de mon instruction, c’est la pédanterie de mon langage, c’est la faculté de désigner savamment ce qui me manque et de pouvoir m’appeler mendiant en grec et en latin. Donc, pour ne pas user de flatterie envers la paix, j’ose dire que c’est une mère féconde, mais une mauvaise nourrice : c’est une incessante productrice d’enfants qui doivent être des voleurs ou des richards, des coquins ou des mendiants.

escarmouche.

Ah ! plût au ciel que je fusse né coquin, au lieu de naître mendiant ! Car, à dire vrai, j’ai été mis au monde quand mon père n’avait pas un penny dans sa bourse.