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ACTE III, SCÈNE II.

eux-mêmes, pour mettre en train de rire un certain nombre de spectateurs imbéciles. Cependant, à ce moment-là même, il y a peut-être quelque situation essentielle de la pièce qui exige l’attention. Cela est détestable, et montre la plus pitoyable prétention de la part du sot qui use de ce moyen. Allez, préparez-vous. (Les comédiens sortent.)(Polonius, Rosencrantz et Guildenstern entrent.) Où en sommes-nous, mon seigneur ? Le roi veut-il entendre ce chef-d’œuvre ?

polonius. — Oui, et la reine aussi, et cela tout de suite.

hamlet. — Dites aux acteurs de faire hâte. (Polonius sort.) Voulez-vous tous deux aller aussi les presser ?

tous deux. — Oui, mon seigneur.

(Horatio entre.)mm(Rosencrantz et Guildenstern sortent.)

hamlet. — Qu’est-ce ? Ah ! Horatio !

horatio. — Me voici, mon doux seigneur, à votre service.

hamlet. — Horatio, tu es de tout point l’homme le plus juste que jamais ma pratique du monde m’ait fait rencontrer.

horatio. — Oh ! mon cher seigneur !

hamlet. — Non, ne crois pas que je flatte ; car quel avantage puis-je espérer de toi qui n’as d’autre revenu que ton bon courage, pour te nourrir et t’habiller ? Pourquoi le pauvre serait-il flatté ? Non ! Que la langue doucereuse aille lécher la pompe stupide ! que les charnières moelleuses du genou se courbent là où le profit récompense la servilité… M’entends-tu bien ? depuis que mon âme tendre a été maîtresse de son choix et a pu distinguer parmi les hommes, elle t’a pour elle-même marqué du sceau de son élection ; car tu as été, en souffrant tout, comme un homme qui ne souffre rien, un homme qui, des rebuffades de la fortune à ses faveurs, a tout pris avec des remercîments égaux ; et bénis sont ceux-là dont le sang et le jugement ont été si bien combinés, qu’ils ne sont pas des pipeaux faits pour les doigts de la fortune et prêts à chanter par le trou qui lui plaît ! Donnez-moi l’homme qui n’est point l’esclave de la passion, et je le porterai dans le fond de mon cœur, oui, dans le cœur de mon cœur, comme je fais de toi… Mais en voilà un peu trop